TRIBUNE. Les « mythes et réalités de la politique étrangère d’Emmanuel Macron »
« Le bilan international du président Macron se révèle bien maigre et de surcroit ambigu », estiment dans cette tribune plus de 90 parlementaires membres des Républicains. Ils notent « un décalage manifeste entre un glorieux récit et une réalité bien moins flatteuse ».
« Les circonstances exceptionnelles d’aujourd’hui amènent naturellement à la recherche d’un large consensus en soutien d’une politique étrangère capable de répondre résolument au défi posé par l’invasion russe de l’Ukraine et ses bouleversements induits sur tout le système international. Pour autant, l’action extérieure ne peut échapper à un bilan critique dans le cadre du nécessaire débat démocratique précédant la seule échéance électorale comptant dans ce "domaine réservé" de la présidence de la République. Or, derrière l’image ciselée d’un président dont les intuitions seraient fulgurantes et dont l’action serait admirée, le bilan international du président Macron se révèle bien maigre et de surcroit ambigu.
S’il est encore trop tôt pour apprécier à sa juste mesure son rôle dans la crise actuelle, il convient de remettre en perspective quelques épisodes qui expliquent pourquoi aujourd’hui, en dépit d’une activité diplomatique intense et d’une auto-promotion flatteuse, la France n’incarne pas un leadership incontestable, particulièrement au niveau européen.
Dans la plupart des capitales européennes, l’activisme français vis-à-vis de la Russie suscite plus de réserves que d’enthousiasme, quel que soit son bien-fondé objectif
Notons d’abord que la critique aujourd’hui répandue de la coupable indulgence qui a largement aveuglé les élites politiques françaises vis-à-vis de la nature du régime et des ambitions de Vladimir Poutine ne saurait épargner le Président lui-même. Les grandioses réceptions du président russe à Versailles en 2017 et à Brégançon en 2019 n’ont débouché sur rien de concret. En revanche, elles ont nourri une suspicion tenace parmi la plupart de nos partenaires européens, inquiets de constater que le président français, chantre du multilatéralisme et de l’unité européenne faisait cavalier seul sur un sujet aussi stratégique que les relations avec Moscou. Cela explique qu’aujourd’hui, dans la plupart des capitales européennes, l’activisme français vis-à-vis de la Russie suscite plus de réserves que d’enthousiasme, quel que soit son bien-fondé objectif.
Cette suspicion a été renforcée par des déclarations d’une grande maladresse, comme celle sur la "mort cérébrale de l’Otan". Le pire dans cet épisode étant sans doute que l’analyse conduisant à cette conclusion brutale était fort intéressante (besoin d’une Europe plus autonome, faiblesses intrinsèques d’une alliance atlantique malmenée par Trump et Erdogan), mais qu’elle a été totalement éclipsée par un slogan inutilement choquant, aliénant durablement des partenaires européens qui, que cela nous plaise ou non, ont des raisons historiques d’attendre davantage de l’Alliance atlantique que d’une virtuelle défense européenne "à la française". La tentation d’un bon mot a ruiné l’élan réformateur que prétendait insuffler un raisonnement rigoureux et pertinent.
Le bilan revendiqué renvoie d’ailleurs bien plus souvent à des discours et des images qu’à des résultats tangibles
Ce syndrome se retrouve d’ailleurs dans de nombreuses situations internationales lors desquelles M. Macron a abondamment disserté (avec des analyses parfois brillantes mais parfois jargonnantes) plus qu’il n’a réellement pesé sur le cours des événements. Le bilan revendiqué renvoie d’ailleurs bien plus souvent à des discours (Sorbonne sur l’Europe, Ouagadougou sur l’Afrique) et des images (visite sur le port dévasté de Beyrouth) qu’à des résultats tangibles. Certes les mots et les symboles comptent, mais leur accumulation ne peut faire illusion. Les "coups" ne font pas une politique, surtout dans un monde en pleine mutation.
Le décalage entre les ambitions et la réalité des leviers dont dispose notre pays a été crûment mis à jour avec l’épisode catastrophique des sous-marins australiens. Bien sûr Australiens, Américains et Britanniques se sont rendus coupables d’une mauvaise manière humiliante, tant sur la forme que sur le fond (mais le pardon de la France a été bien discret). Et il reste beaucoup d’interrogations sur la façon dont ce "contrat du siècle" et le "partenariat stratégique" qui l’accompagnait, ont été pilotés politiquement. Les efforts industriels ont-ils vraiment été suivis d’une action politico-diplomatique à la hauteur ? Lorsque le contexte stratégique régional s’est durci dans le Pacifique, l’alliance américaine s’est imposée aux Australiens, nous reléguant dans une catégorie hélas plus conforme à nos capacités dans une zone où nous avons pourtant d’évidents intérêts à défendre (Nouvelle-Calédonie, Polynésie).
En Afrique, les coups d’Etat dans plusieurs pays sahéliens ont considérablement fragilisé nos positions et le désengagement militaire français au Mali se déroule sous la contrainte, sans réelle marge de manœuvre. Les développements politiques des dernières années comprenaient pourtant déjà la plupart des paramètres conduisant à cette issue fatale. S’il faut bien reconnaitre que les événements locaux ont leur logique propre, le volontarisme affiché par Paris ces derniers mois, tant sur notre capacité à surmonter les obstacles politiques qu’à obtenir des résultats décisifs notamment dans la montée en puissance de la coordination militaire régionale, ressemblait plus à la méthode Coué qu’à une analyse lucide de la situation. Le levier militaire, s’appuyant sur le professionnalisme remarquable de nos forces armées, constitue trop systématiquement, en Afrique comme au Moyen-Orient, un palliatif à l’absence d’une véritable stratégie politico-diplomatique. Il est à craindre d’ailleurs que le démantèlement annoncé d’un authentique corps diplomatique professionnel, à l’aune d’une hasardeuse réforme de l’Etat, ne vienne amplifier cette insuffisance.
L’exigence d’unité et de solidité dans l’action internationale de la France ne saurait tolérer que soient passées par pertes et profits les lacunes, ambigüités et contradictions
D’autres exemples pourraient illustrer la contradiction flagrante entre discours et action, entre intentions et réalisations. L’image européenne, qui nous est abondamment présentée comme la colonne vertébrale du bilan macronien à l’international, est beaucoup plus contrastée. Oui, beaucoup d’ambitions ont été affichées, et il serait d’autant plus malhonnête de les dénigrer que nombre d’entre elles figuraient déjà dans les positions traditionnelles françaises, telles qu’elles avaient notamment pu être présentées du temps de la précédente présidence française du conseil de l’Union Européenne, sous Nicolas Sarkozy, en 2008. Mais force est de constater que la conviction des autres pays européens est loin d’avoir été irrésistiblement emportée par l’activisme macronien. Car les visions françaises ont été présentées avec beaucoup d’arrogance, en théorisant (revoir le discours du congrès de Versailles de juillet 2018) une division irréconciliable entre une Europe "progressiste" et une Europe soi-disant "populiste et nationaliste", les contours de l’une et de l’autre évoluant au gré des sympathies et intérêts conjoncturels du Président français. L’affirmation même d’une Europe devant être plus souveraine, martelée par M. Macron, s’accommode assez mal de tergiversations gouvernementales et de votes parlementaires souvent peu conformes, particulièrement dans les domaines énergétique (conversion très tardive aux avantages du nucléaire) et agricole (aucun critique à l’époque de la désastreuse stratégie européenne dite de la Ferme à l’Assiette qui conduit à une décroissance de la production agricole continentale).
La politique extérieure est traditionnellement, et doit autant que possible rester, un terrain relativement consensuel entre forces politiques responsables. Il ne saurait donc être question, en ces temps décisifs, de porter sur l’action du chef de l’Etat un regard systématiquement désapprobateur. Mais l’exigence d’unité et de solidité dans l’action internationale de la France ne saurait tolérer que soient passées par pertes et profits les lacunes, ambigüités et contradictions qui, au cours des dernières années, ont créé un décalage manifeste entre un glorieux récit et une réalité bien moins flatteuse. »
Les signataires :
Jean Louis Thieriot Député Seine et Marne
Jean Pierre Door Député Loiret
Gérard Menuel Député Aube
Claude De Ganay Député Loiret
Bernard Reynes Député Bouches du Rhône
Brigitte Kuster Députée Paris
Marine Brenier Députée Alpes Maritimes
Philippe Gosselin Député Manche
Stéphane Viry Député Vosges
Nathalie Porte Députée Calvados
Philippe Meyer Député Bas Rhin
Patrick Hetzel Député Bas Rhin
Pierre Henri Dumont Député Pas de Calais
Jean Marie Sermier Député Jura
Alain Ramadier Député Seine Saint Denis
Valérie Beauvais Députée Marne
Philippe Benassaya Député Yvelines
Virginie Dubby Muller Députée Haute Savoie
François Cornut Gentille Député Haute Marne
Fabien Di Filippo Député Moselle
Fabrice Brun Député Ardèche
Emilie Bonnivard Députée Savoie
Maxime Minot Député Oise
Jean Claude Bouchet Député Vaucluse
Bernard Deflesselles Député Bouches du Rhône
Yves Hemedinger Député Haut Rhin
Isabelle Valentin Députée Haute Loire
Jean Pierre Vigier Député Haute Loire
Pierre Vatin Député Oise
Gilles Carrez Député Val de Marne
Gérard Cherpion Député Vosges
Marianne Dubois Députée Loiret
Sandra Boelle Députée Paris
Thibaut Bazin Député Meurthe et Moselle
Ian Boucard Député Territoire de Belfort
Bernard Bouley Député Essonne
Julien Dive Député Aisne
Eric Pauget Député Alpes Maritimes
Nicolas Forissier Député Indre
Michel Herbillon Député Val de Marne
Emmanuelle Anthoine Députée Drôme
Guy Teissier Député Bouches du Rhône
Berengère Poletti Députée Ardennes
Michel Vialay Député Yvelines
Raphael Schellenberger Député Haut Rhin
Annie Genevard Députée Doubs
Laurence Trastour Isnart Députée Alpes Maritimes
Julien Aubert Député Vaucluse
Jean Jacques Gauthier Député Vosges
Vincent Descoeur Député Cantal
Valérie Bazin Malgras Députée Aube
Jacques Cattin Député Haut Rhin
Emmanuel Maquet Député Somme
Anne Laure Blin Députée Maine et Loire
Pierre Cordier Député Ardennes
Marie Christine Dalloz Députée Jura
Frédérique Meunier Députée Corrèze
Jean Luc Reitzer Député Haut Rhin
Rémi Delatte Député Cote d’Or
Xavier Breton Député Ain
Josiane Corneloup Députée Saône et Loire
Bruno Retailleau Sénateur Vendée
Alexandra Borchio Fontimp Sénatrice Alpes Maritimes
Damien Regnard Sénateur Français de l’étranger
Stéphane Sautarel Sénateur Cantal
Dominique de Legge Sénateur Ille et Vilaine
Françoise Dumont Sénatrice Var
Jérôme Bascher Sénateur Oise
Fabien Genet Sénateur Saône et Loire
Else Joseph Sénatrice Ardennes
Jacqueline Eustache-Brinio Sénatrice Val d’Oise
Alain Cadec Sénateur Cotes d’Armor
Ronan Le Gleut Sénateur Français de l’étranger
Béatrice Gosselin Sénatrice Manche
Laurent Burgoa Sénateur Gard
Charles Guéné Sénateur Haute Marne
Louis-Jean de Nicolaÿ Sénateur Sarthe
Brigitte Micouleau Sénatrice Haute Garonne
Philippe Mouiller Sénateur Deux Sèvres
Catherine Deroche Sénatrice Maine et Loire
Annie Delmont-Koropoulis Sénatrice Seine Saint Denis
Marie Mercier Sénatrice Saône et Loire
Henri Leroy Sénateur Alpes Maritimes
Martine Berthet Sénatrice Savoie
Francois-Noel Buffet Sénateur Rhône
René-Paul Savary Sénateur Marne
Max Brisson Sénateur Pyrénées Atlantiques
Sophie Primas Sénatrice Yvelines
Dominique Estrosi-Sassone Sénatrice Alpes Maritimes
Kristina Pluchet Sénatrice Eure
Frédérique Puissat Sénatrice Isère
Laurence Garnier Sénatrice Loire Atlantique
Philippe Paul Sénateur Finistère