Jusqu’au bout, l’hémicycle divisé sur la loi séparatisme
Après deux semaines de débats, soit 80 heures de plénière, l’examen en première lecture du projet de loi « confortant les principes de la République » s’est achevé, samedi 13 février, à l’Assemblée nationale, avant un vote solennel prévu mardi 16 février. Si cet examen a donné lieu à des discussions animées - et parfois âpres - sur la place des religions en France et mis en lumière des clivages profonds sur la meilleure manière de lutter contre le séparatisme islamiste, le texte ne ressort pas de l’hémicycle substantiellement modifié : sur les 2 700 amendements au menu, seuls 144 ont été adoptés. La plupart avaient été déposés par des députés de la majorité.
Parmi ces amendements, quelques-uns, adoptés vendredi soir, alors qu’étaient discutés les articles 26 à 39 du projet de loi (sur 51 en tout), concernent la lutte contre les ingérences étrangères dans le culte. Comme celui déposé par Jacques Maire (LREM) qui permet à l’autorité administrative de s’opposer au rachat d’un lieu de culte par un État étranger ou une personne non-résidente en France. Une décision « très importante, qui montre à quel point cette loi n’est pas une petite loi », s’est réjoui le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. « Jusqu’ici, et cela lui a souvent été reproché, la France ne pouvait pas s’opposer à des ventes de lieux de culte à des autres pays », a-t-il rappelé aux parlementaires.
Échanges musclés
Autre ajout au texte initial : une mesure visant à réglementer les dons en espèce faits aux associations cultuelles. Puisque l’argent liquide n’est « contrôlé et contrôlable par personne », selon le député Jean-Christophe Lagarde (UDI), tout don de plus de 150 € à une association cultuelle devra désormais être effectué par chèque, virement ou carte bancaire.
Tard dans cette même soirée de vendredi, Jean-Christophe Lagarde a fait adopter un second amendement in extremis : il permettra de durcir les sanctions contre tout ministre du culte qui prononcerait un mariage religieux sans que lui ait été justifié l’acte de mariage civil (un an de prison, contre six mois aujourd’hui). Voir des mariages religieux précéder ou même se dispenser du mariage civil est devenu courant, selon ce député. « Inacceptable » de la part de ministres du culte qui connaissent la loi, et l’enfreignent donc « sciemment ».
Jusqu’au bout, l’examen de ce texte très sensible aura donné lieu à des échanges musclés entre une majorité défendant méticuleusement sa méthode, une opposition de droite très offensive, accusant le texte d’« attaquer la liberté de culte » et de ne pas viser assez explicitement l’islam, et des députés de gauche - moins unis - fustigeant des atteintes à la séparation des Églises et de l’État ainsi qu’un certain « paternalisme » à l’égard des musulmans de France.
Le « calvaire » des apostats
Samedi matin, les députés se sont notamment divisés autour d’un éventuel « délit de déni d’apostasie », sur la base d’amendements du groupe Les Républicains. « Aujourd’hui les apostats, c’est-à-dire ceux qui se sont détournés de la religion, sont dénigrés par les fondamentalistes et vivent malheureusement un véritable calvaire », a affirmé Éric Diard, favorable à la création d’un délit spécifique. Ce à quoi la majorité et plusieurs députés de gauche ont répliqué que, puisque la liberté de conscience fait déjà partie des principes fondamentaux de la République, il est inutile d’« ajouter du symbole au symbole ». Après avoir débattu une demi-heure sur la pertinence ou non d’inscrire dans la loi ce terme relevant du « vocabulaire religieux », l’Assemblée a rejeté ces amendements.
Autre tentative d’une partie de la droite (en l’occurrence la députée LR Anne-Laure Blin) à s’être finalement soldée par un échec : la création d’un délit pour « le questionnement de la supériorité des lois de la République sur la loi de Dieu », passible de cinq ans de prison et 45 000 € d’amende. Si cette possibilité a rapidement été écartée, la question a resurgi à plusieurs reprises dans l’hémicycle, divisant la droite elle-même. Xavier Breton (LR) a pour sa part estimé que « l’ordre civil ne règle pas tout » et qu’en ce qui concerne « l’ordre personnel », c’est la « loi de la conscience » qui prime.
Les députés ont adopté l’article sur l’instruction en famille
Le dispositif qui encadre l’instruction en famille (IEF) a été adopté vendredi 12 février. Les parents peuvent invoquer une « situation propre à l’enfant » pour y recourir, mais l’article 21 du projet de loi confortant le respect des principes républicains définit un cadre contraignant.
L’administration pourra s’opposer à l’IEF au nom de la défense de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». L’autorité administrative peut convoquer les responsables de l’enfant à un entretien et contrôler « la capacité » des personnes (pas forcément les parents) chargées de l’instruction, tandis que des « cellules de prévention de l’évitement scolaire » sont instituées dans chaque département.
Face aux critiques, certains aménagements ont été inscrits dans le texte. Lorsque des parents déposent une demande, le rectorat a deux mois pour répondre et l’absence d’avis vaut acceptation. Un dispositif de recours pour les familles a aussi été précisé. Et une période de transition a été instaurée : jusqu’à la rentrée scolaire 2024, les familles n’auront pas à effectuer une demande d’autorisation.